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  1. \chapter{Nous, les enfants du Sieć, de Piotr Czerski}
  2. Il ny a pas de concept\footnote{\url{http://pokazywarka.pl/pm1pgl/} pour la version polonaise, et
  3. \url{http://www.zeit.de/digital/internet/2012-02/wir-die-netz-kinder/komplettansicht} pour la version allemande, toutes les deux sous CC-BY-SA}
  4. plus rabâché dans les discours médiatiques que celui de génération. Jai déjà essayé une fois de compter les « générations » autoproclamées dans les 10 dernières années depuis
  5. ce fameux papier sur la « Génération perdue ». Je pense en avoir trouvé douze. Mais elles avaient toutes une chose en commun : elles nexistent que sur le papier. Dans la réalité personne na vécu
  6. cette impulsion à la fois unique en son genre, tangible et inoubliable, cette expérience commune à travers laquelle nous resterions différenciables de toutes les générations précédentes. Nous
  7. cherchions loin à lhorizon, mais la mutation fondamentale était passée inaperçue, et se cachait dans les câbles grâce auxquels la télévision a embrassé le pays, dans léclipse du réseau fixe par
  8. celui mobile, et avant tout dans laccès à Internet généralisé. Ce nest que maintenant que nous comprenons tout ce qui a changé dans les 15 dernières années.
  9. Nous, les enfants du Sieć, qui avons grandi avec Internet et sur Internet, nous sommes une génération qui, finalement, satisfait aux critères du concept. Il ny a pas eu de déclic mais plutôt une
  10. métamorphose de la vie. Ce qui nous unit à présent nest pas un contexte culturel commun et déterminé mais le sentiment que nous pouvons définir librement ce contexte et ses cadres.
  11. Pendant que jécris, je sais bien que jabuse du mot « Nous ». Parce que notre « nous » est changeant, flou. Avant on aurait dit : temporaire. Quand je dis « nous », je pense « beaucoup dentre nous »
  12. ou « quelques uns dentre nous ». Quand je dis « nous sommes », je pense « il arrive que nous soyons ». Cest pourquoi je dis « nous » pour pouvoir parler de nous.
  13. \section{Nous avons grandi avec Internet et sur Internet}
  14. Cest pourquoi nous sommes différents. Cest le point crucial et à vrai dire pour nous létonnante différence : Nous ne « surfons » pas sur Internet, et
  15. Internet nest pas pour nous un « lieu » ou un « espace virtuel ». Internet nest pas pour nous une extension externe de notre réalité, mais en fait partie : une couche invisible mais toujours
  16. présente qui sentrelace à notre environnement physique, une sorte de seconde peau.
  17. Nous nutilisons pas Internet, nous vivons dedans et avec. Si nous devions vous expliquer à vous, les analogiques, notre « Bildungsroman »\footnote{« Roman iniatique ». Style littéraire allemand du
  18. 18\ieme siècle qui thématise l'apprentissage de la vie d'un jeune personnage.}, nous vous dirions que toutes les
  19. expériences essentielles que nous avons faites avaient le Réseau en commun. En ligne, nous nous sommes créés des amis et des ennemis, nous avons préparé nos anti-sèches, nous avons planifié des
  20. soirées et des sessions de travail, nous sommes tombés amoureux et nous nous sommes séparés.
  21. Internet nest pas pour nous une technologie que nous devions apprendre et que nous avons intégrée dune manière ou dune autre. Le réseau est avant tout un processus continu qui évolue en permanence
  22. sous nos yeux, avec nous et à travers nous. Les technologies se créent et disparaissent dans notre environnement, les sites web naissent, se déploient et meurent, mais le réseau subsiste parce que
  23. nous
  24. sommes le réseau, nous qui communiquons bien plus efficacement que jamais dans lhistoire de lhumanité.
  25. Nous avons grandi sur Internet, cest pourquoi nous pensons différemment. Pouvoir trouver une information est pour nous aussi évident que pour vous pouvoir trouver une gare ou une poste dans une ville
  26. inconnue. Quand nous voulons quelque chose, comme les premiers symptômes de la varicelle, les raisons du naufrage de l« Estonie » ou savoir pourquoi notre facture deau semble aussi suspicieusement
  27. haute, nous prenons les devants avec la sûreté dun automobiliste guidé par un GPS.
  28. Nous connaissons beaucoup dendroits trouver les informations désirées, nous savons comment on y arrive et nous pouvons juger de leur fiabilité. Nous avons appris à accepter que nous trouverons
  29. rarement une réponse mais bien plutôt plusieurs, et nous extrayons de cette pluralité loption la plus vraisemblable pour ignorer les autres. Nous sélectionnons, filtrons, nous souvenons, et sommes
  30. prêt à échanger ce que nous savons déjà contre quelque chose de neuf, de meilleur, quand nous butons contre un obstacle.
  31. Pour nous Internet est une sorte de disque dur externe. Nous ne retenons pas de définition précise : les dates, les montants, les formules, les paragraphes et les définitions exactes. Un résumé avec
  32. le cœur de laffaire nous suffit, et nous le travaillons pour le relier avec dautres informations. Si nous avons besoin de détails, nous les cherchons dans les secondes qui suivent.
  33. Nous navons pas besoin dêtre des experts dans tout ce que nous connaissons parce que nous trouvons les hommes qui en ont fait leur spécialité et que nous pouvons croire. Les autres hommes ne
  34. partagent pas leur expertise avec nous pour de largent mais plutôt parce quils sont comme nous convaincus que linformation connaît un flux continuel et veut être libre, que nous profitons tous de
  35. léchange. Et ce tous les jours : pendant nos études, au travail, lors de la résolution de problèmes quotidiens ou lorsque ça nous intéresse. Nous savons comment la concurrence fonctionne et laimons.
  36. Mais notre compétition, notre vœu dêtre différent, se base sur la capacité de manipuler et interpréter les informations, pas sur leur monopolisation.
  37. \section{La participation à la culture nest pas notre occupation des jours de fête}
  38. La culture globale est le socle de notre identité, plus importante que notre compréhension particulière comme
  39. tradition, les histoires de nos aînés, le statut social, lorigine ou même notre langue. Dans locéan des événements culturels nous pêchons ce que bon nous semble, nous interagissons avec, notons et
  40. sauvegardons nos évaluations sur des sites web dédiés qui proposent dautres albums, films ou jeux qui pourraient nous plaire.
  41. Nous regardons avec dautres collègues certains de ces films, de ces séries ou vidéos, ou alors avec des amis du monde entier. Pour certains contenus notre appréciation ne sera jamais partagée quavec
  42. un petit nombre de personnes que parfois nous ne verrons peut-être jamais dans la vie réelle. Cest pourquoi nous avons le sentiment que notre culture devient à la fois globale et individuelle. Cest
  43. la raison pour laquelle nous avons besoin dy accéder librement (NdT: swobodnego en polonais).
  44. Cela ne veut pas dire que nous exigeons un accès gratuit à tous les biens culturels, même si quand nous créons quelque chose, bien souvent nous le mettons simplement en circulation. Nous comprenons
  45. que la créativité demande toujours des efforts et de linvestissement, et ce malgré la démocratisation des techniques de montage audio ou vidéo. Nous sommes prêts à payer, mais les renchérissements
  46. gigantesques des intermédiaires nous paraissent bêtement et simplement inadaptés. Pourquoi devrions nous payons pour la copie dune information qui peut pourtant être copiée parfaitement très
  47. rapidement, sans changer seulement dun iota la valeur de loriginal ? Si nous ne recevons que linformation brute, nous demandons un prix adapté. Nous sommes prêts à payer plus, mais alors nous
  48. attendons aussi plus : un emballage intéressant, un gadget, une meilleure qualité, la possibilité de pouvoir le regarder tout de suite, ici et maintenant, sans attendre la fin du téléchargement. Nous
  49. pouvons même montrer de la gratitude et donner à lartiste (puisque largent ne correspond plus quà des suites de chiffres sur un écran, payer est presque devenu un acte symbolique duquel les deux
  50. partis devraient profiter), mais les objectifs de vente de quelque sorte que ce soit ne nous intéressent pas du tout. Ce nest pas notre faute si votre modèle économique ne fait plus aucun sens dans
  51. sa forme traditionnelle et si vous vous décidez à défendre votre modèle daté au lieu daccepter les nouvelles exigences et dessayer de nous fournir plus que ce que nous pourrions avoir autrement.
  52. Encore une chose : Nous ne voulons pas payer pour nos souvenirs. Les films qui datent de notre enfance, la musique qui nous a bercée pendant 10 ans: Dans une mémoire mise en réseau, ce ne sont plus
  53. que des souvenirs. Les rappeler et les échanger, les redévelopper, cest pour nous aussi normal que pour vous les souvenirs de « Casablanca ». Nous trouvons sur le Sieć\footnote{Réseau en polonais}
  54. les films que nous avons vus
  55. enfants. Pouvez-vous vous imaginer que quelquun vous poursuive pour ça en justice ? Nous non plus.
  56. \section{Ce qui nous importe le plus, cest la liberté}
  57. Nous sommes habitués à payer automatiquement nos factures tant que létat de notre compte bancaire le permet. Nous savons que nous devons seulement remplir en ligne un formulaire et signer un contrat
  58. livré par la poste quand nous ouvrons un compte ou voulons changer dopérateur téléphonique. Cest pourquoi, en tant quutilisateur de lÉtat, nous sommes de plus en plus énervés par son interface
  59. utilisateur archaïque. Nous ne comprenons pas pourquoi nous devrions remplir plusieurs formulaires papiers le plus gros peut comporter plus de cent questions. Nous ne comprenons pas pourquoi nous
  60. devons justifier dun domicile fixe (il est absurde de devoir en avoir un) avant de pouvoir entreprendre dautres démarches, comme si les administrations ne pouvaient pas régler ces choses sans que
  61. nous devions intervenir.
  62. Nous avons perdu la conviction née dans la crainte de nos parents que les trucs administratifs sont dune importance capitale et que les affaires réglées par lÉtat sont sacrées. Ce respect ancré dans
  63. la distance entre le citoyen solitaire et la hauteur majestueuse dans laquelle réside la classe dominante, à peine visible -haut dans les nuages, nous ne lavons plus. Notre compréhension de la
  64. structure sociale est différente de la leur : La société est un réseau, pas une pyramide. Nous sommes habitués à pouvoir adresser la parole à presque nimporte qui, quil soit journaliste, maire,
  65. professeur duniversité ou star de la pop, et nous navons pas besoin de qualifications qui iraient de pair avec notre statut social. Le succès dune interaction tient uniquement à lappréciation par
  66. les autres de limportance du contenu de notre message et de la pertinence dy répondre. Et puisque nous avons le sentiment, grâce à la collaboration et à des disputes incessantes nous défendons
  67. contre la critique nos arguments, que nos opinions sont les meilleures, pourquoi ne pourrait-on pas attendre de dialogue sérieux avec le gouvernement ?
  68. Nous ne sentons pas de respect religieux pour les « institutions démocratiques » dans leur forme actuelle, nous ne croyons pas à lirrévocabilité de leurs rôles comme tous ceux qui considèrent que les
  69. institutions démocratiques sont comme des objets de vénération qui se construisent d'eux-mêmes et à leur propre fin. Nous n’avons pas besoin de monuments. Nous avons besoin d’un système qui réponde
  70. à nos
  71. attentes, dun système transparent et en état de marche. Et nous avons appris que le changement est possible, que tout système difficile à manier peut être remplacé par un plus efficace, qui soit
  72. mieux adapté à nos exigences et laisse plus de marge de manœuvre.
  73. Ce qui nous importe le plus, cest la liberté. La liberté de sexprimer, daccéder à linformation et à la culture. Nous croyons quInternet est devenu ce quil est grâce à cette liberté et nous
  74. pensons que cest notre devoir de défendre cette liberté. Nous devons cela aux générations futures comme nous leur devons de protéger lenvironnement.
  75. Il est possible quaucun nom adapté nexiste pour désigner ce que nous voulons, ou que nous ne soyons pas encore tout à fait conscient qu'il s'agit d'une vraie et réelle démocratie. Une
  76. démocratie qui na peut-être jamais
  77. été rêvée par vos journalistes.